Le corps social africain a une diaspora qu’il mérite : dynamique, reconnaissante, solidaire. A simple titre d’illustration, les milliers d’africains éparpillés aux quatre coins du monde qui se bousculent dans les agences de transfert d’argent pour envoyer une partie de leurs économies à leurs « proches » restés en Afrique. Comment la diaspora contribue-t-elle, sur le plan économique, au bien-être du continent africain ? Il faut peut-être prendre un ou deux pas de recul pour admirer l’édifice dans toute sa splendeur.
Les transferts d’argent vers l’Afrique
Selon la Banque mondiale, l’Afrique a reçu 66,5 milliards $ de transferts d’argent des migrants en 2014, soit 11 % des 583 milliards $ à l’échelle mondiale. 120 millions d’africains ont reçu cette enveloppe globale des 30 millions d’africains de la diaspora, une somme en constante augmentation malgré la crise économique qui a frappé le monde ces dernières années. Ces sommes proviennent principalement des Etats Unis, de la France, de l’Allemagne, du Royaume-Uni, du Canada, de la Suisse, et de l’Arabie Saoudite, etc. Dans le trio de tête des pays destinataires, le Nigeria (21 milliards $, 31,4 % des flux de migrants entrants sur le continent), suivi de l’Égypte (19,6 milliards $, 29,5 %) et du Maroc (6,9 milliards $, 10,5 %).
Selon l’Agence Française de Développement, il s’agit souvent de petites sommes (250 euros en moyenne) qui sont transférées de façon plus ou moins régulière et qui sont beaucoup plus destinées à satisfaire les besoins primaires, selon la formule de Marx dans l’idéologie allemande (boire, manger, se loger, s’habiller et quelques autres choses encore) et à régler des problèmes d’ordre social : soins de santé, frais scolaires, tontines, etc.. Mais parfois, lorsqu’elles sont judicieusement utilisées, ces sommes constituent des capitaux de départ à certains investissements locaux (petit commerce, petite industrie, immobilier…), susceptibles de résorber la pauvreté sur le continent.
Généralement sous-estimée, l’aide de la diaspora africaine n’en est pas moins importante. Elle est largement supérieure aux investissements directs étrangers sur le continent (50 milliards $ en 2014), et à l’aide publique au développement qui était de 56 milliards $ en 2014. C’est donc une masse financière non négligeable qui contribue activement au développement de notre continent et dont l’influence sur le PIB de nos pays est parfois considérable (en moyenne 4% du PIB).
Pays | Lesotho | Gambie | Libéria | Sénégal | Cap-Vert | Comores |
Poids des transferts sur le PIB | 24,4 % | 19,8% | 18,4% | 10,7% | 9,3% | 9% |
Et il ne s’agit que de la partie visible de l’iceberg, car seuls les fonds qui transitent par des canaux formels de transferts d’argent sont pris en compte. Si on y ajoute les flux non-officiels, on pourrait voir ces chiffres passer du simple au double, voire au triple. De nombreux africains ont encore recours à des canaux informels pour transférer de l’argent, compte tenu de la volatilité de certaines monnaies, et de la carence d’infrastructures pour retirer cet argent dans les lieux les plus enclavés et les plus reculés de notre continent.
Nonobstant son important volume, des études des institutions internationales et panafricaines comme l’OCDE ou la BAD, estiment que la part des transferts d’argent investie dans le secteur productif atteint à peine 10%. Les transferts d’argent ne peuvent donc pas contribuer à eux-seuls au développement du continent. Heureusement la diaspora africaine connaît bien l’adage de Lao-Tseu « Si tu donnes un poisson à un homme, il mangera un jour. Si tu lui apprends à pêcher, il mangera toujours ». En gros, elle ne se contente pas de donner de l’argent.
La construction d’infrastructures
D’après la Banque mondiale, l’argent envoyé par des Maliens vivant en France a contribué à la construction de 60 % des infrastructures. Environ 40 associations de Maliens émigrés en France ont apporté leur appui financier à près de 150 projets, dont la valeur totale sur 10 ans a été évaluée à 3 millions d’euros. Et ce n’est pas un cas isolé. Dans plusieurs pays, diverses associations de la diaspora prennent le relai de l’Etat et participent à la construction d’infrastructures (écoles, points d’adduction d’eau potable, routes,…).
La création d’entreprises
Résorber la pauvreté en Afrique est un enjeu majeur de notre siècle. Dans un continent où tout reste à faire ou presque, la diaspora constitue également une réserve de ressources humaines et de savoir-faire à mettre au service du développement économique, notamment par la création d’emplois. Combien de « fils du continent », depuis plus d’une décennie, créent leurs entreprises et embauchent, financent des projets – même à distance ? C’est ce pouvoir de l’initiative, pouvoir d’impulsion du cycle de la production, qui confère à la diaspora africaine une place stratégique dans la structure sociale d’ensemble.
La consommation de produits locaux
En tant que principaux consommateurs des produits locaux à l’Etranger, les membres de la diaspora arrivent à faire vivre tout un pan de l’économie. C’est leur pouvoir d’achat qui finance l’achat de certains produits du terroir qui sont exportés.
On pourrait ainsi multiplier les exemples, mais le but ici n’est pas de dresser une liste exhaustive. Des raisons inexplicables laisseront toujours la diaspora africaine sans soutien véritable de la part de nos Etats, à moins que ne soient prises en compte certaines propositions de solution.
Comment améliorer la contribution de la diaspora ?
Concernant les transferts d’argent vers l’Afrique, le coût élevé des transactions diminue l’enveloppe car envoyer de l’argent en Afrique coûte beaucoup plus cher que dans le reste du monde. Selon les derniers chiffres de la base de données Send Money Africa de la Banque mondiale, les frais moyens pour transférer 200 $ depuis l’Etranger sont de 11,5 % fin 2014, soit quasiment le double de la moyenne mondiale qui se situe autour de 6%.

Western Union et Moneygram, les deux sociétés en situation de quasi-duopole sur le marché du transfert d’argent, poussent leur avantage jusqu’à la dernière extrémité en rançonnant le plus possible leurs clients. Certes les charges fiscales, les tracasseries administratives, la fiscalité parfois inadaptée se ressentent sur le prix des prestations, mais ça ne justifie pas des prix aussi élevés, d’autant plus que les bénéfices des entreprises de transfert sont en constante hausse
Les Etats doivent donc agir d’une part soit en créant des conditions qui peuvent favoriser la concurrence, soit en obligeant ces entreprises à baisser le prix, soit en subventionnant le prix des transactions comme c’est le cas dans certains pays de l’Asie de l’Est. Baisser le coût des transactions à 5% par exemple, se traduirait par une économie de 4 milliards $ pour la diaspora africaine et leurs familles.
D’autre part, en offrant des possibilités et des facilités d’investissement au pays, avec la garantie d’un minimum de sécurité générale.
Bi-bancarisation
C’est l’accès à la banque pour les migrants, à la fois dans leur pays d’accueil et leur pays d’origine dans le cadre d’une action coordonnée entre les banques. Dans un environnement où peu de personnes ont accès aux services bancaires, le « mobile-banking » et l’ « e-banking » sont des pistes à explorer, coopératives d’épargne et de crédit et les banques rurales, seraient également utilisés comme points de paiement pour les envois de fonds. Formidable outil d’intégration sociale, la bi-bancarisation permettrait de mobiliser l’épargne collectée et de mieux l’orienter. Au niveau macroéconomique, les flux d’envois de fonds pourraient améliorer la balance des paiements et renforcer les réserves de change du pays.
La diaspora africaine est donc une force financière importante avec laquelle les gouvernements doivent composer pour assurer le développement du continent. Il est plus que nécessaire, pour optimiser l’impact de l’envoi des fonds sur la transformation sociale, de les faire rentrer au maximum dans le système financier formel, en créant un cadre règlementaire plus adéquat. Car en matière de politique comme en toute autre, il n’y a que le premier pas qui coûte et qui irrésistiblement appelle les suivants.
Sources
- Banque mondiale
- AFD
- Le magazine de l’Afrique