Guillaume Soro livre son point de vue sur les facteurs de réussite durable du processus de paix et sur les raisons qui l’avaient, plusieurs fois, fait échouer, de Marcoussis à Pretoria.
Le fétichisme des dates ? Il n’en est pas un adepte. Il l’avait prévenu au lendemain de sa désignation à la primature ivoirienne. Et chacun avait apprécié ! Dans le contexte de suspicion généralisée qui prévalait, les procès d’intention sont allés bon train, et globalement cette « mise en garde » avait été ressentie, par alliés politiques et adversaires, comme, une volonté (inavouée) de se maintenir plus longtemps qu’il ne faut à la primature. Sur les « braises » ces dernières semaines, avec le retard pris dans les différentes opérations (enrôlement et identification) devant présider à la tenue de l’élection présidentielle, préalablement fixée au 30 novembre 2008, et l’inquiétude des différents partis politiques quant à leur fiabilité, le Premier ministre ivoirien n’en finit pas d’éveiller la conscience de ses concitoyens sur le fait qu’au regard des enjeux sociopolitiques et économiques du processus en cours, plus que les échéances fixées, l’important, c’est la finalité : des élections libres, ouvertes à tous et transparentes. Et le fait qu’il ne soit pas lui aussi dans les starting blocks de cette course, devrait rasséréner les uns et les autres. Que nenni !
« A peine avait-on signé, que sorti des salles, on relisait l’Accord à la recherche de la virgule qui pouvait nous permettre de ne pas l’appliquer. Résultat : Ça n’a pas été appliqué. »
Le prix fort
A la tribune d’échange du quotidien ivoirien Fraternité matin, le 29 octobre 2008, il a dû remettre une couche d’assurances pour tenter de dissiper la suspicion générale : « Je voudrais rassurer les Ivoiriens (…) nous prenons toutes les dispositions pour que ce scrutin soit transparent. A mon avis, et c’est ma conviction, la stabilité après l’élection est beaucoup liée à la qualité de l’enrôlement, de la liste électorale, à la transparence que nous mettrons dans ces opérations. L’adoption d’un mécanisme transparent pour lequel le gouvernement a opté obéit à cette logique… Au lieu d’un opérateur technique pour faire les élections, la Côte d’Ivoire s’est payé le luxe d’avoir deux opérateurs techniques. Alors que les élections ont toujours été organisées en Côte d’Ivoire par un opérateur technique qui est l’Institut national de la statistique (INS), pour éviter que l’on dise plus tard que ces élections n’ont pas été transparentes, l’Etat de Côte d’Ivoire a admis le principe qu’il y ait, en plus de l’opérateur technique national, un opérateur technique privé, qui est Sagem sécurité. La Côte d’Ivoire paye le prix fort (pour cette précaution) puisque c’est environ 100 milliards de francs CFA qui vont être dépensés pour organiser l’élection et les opérations d’identification et de recensement. »
La qualité du résultat final
« On ne peut pas payer autant d’argent et permettre qu’il y ait des tripatouillages » prévient le toujours Secrétaire général des Forces nouvelles. Dans ses habits nouveaux de chef du gouvernement, sa grille de lecture et d’appréciation des évènements et des contingences est un peu plus relâchée. Elle se focalise prioritairement sur la qualité du résultat final. Et rétrospectivement, lui l’ancien tenant d’une mise en œuvre scrupuleuse des différents accords politiques conclus entre les parties ivoiriennes avant l’Accord de Ouagadougou, concède : « A Linas-Marcoussis, en France, les discussions ont été figées dans un espace temporel d’une semaine au terme duquel il fallait parvenir à un accord sur des problèmes vieux d’une décennie. C’est vrai qu’on a fini par signer un accord. Mais ce fut au pas de charge. On dormait même sur le site. Les matins, on était dans la salle et visiblement, face à la pression du temps, des questions n’ont sans doute pas été discutées à satisfaction. Résultat : on a eu des problèmes pour appliquer l’accord. Idem pour Accra (Ghana) où il nous a été donné 48h pour signer un accord. Nous y sommes parvenus, bien entendu sous la pression, parce que c’était à qui n’allait pas parapher le document pour se retrouver accusé d’être la source des problèmes. Mais à peine avait-on signé, que sorti des salles, on relisait l’Accord à la recherche de la virgule qui pouvait nous permettre de ne pas l’appliquer. Résultat : ça n’a pas été appliqué. Ç’a été la même chose à Pretoria ».
« Trahir quoi et qui ? Signer un accord pour faire la paix dans son pays, est-ce cela trahir ? Non. »
Enrichi de ces « coups pour rien », le Premier ministre Soro Kigbafory Guillaume avoue avoir « une nouvelle façon de voir les problèmes, de nouvelles perceptions sur ces questions-là ». Désormais, il pondère tout avec un facteur nouveau : le temps. « On croit devancer le temps quand, sous la pression, on vous dit de signer. Mais en réalité, on se trompe parce que le temps a toujours raison. Si peut-être on avait pris toutes ces dispositions pour créer ce cadre et qu’on avait laissé le temps jouer, on n’en serait peut-être pas là aujourd’hui. » Le rejoignant dans cette appréhension des choses : le président Gbagbo, passé maître dans l’art de l’usage judicieux de « la Loi d’opportunité », qui aime à dire que « le temps est l’autre nom de Dieu ». Une convergence de perception qui vaut au chef du gouvernement d’être suspecté de connivence avec le chef de l’Etat, voire de trahison, d’une part par certains de ses amis du maquis et d’autres part par certains alliés politiques.
Une nouvelle virginité
Ce type d’accusation, il s’en amuse. « C’est vrai, que quand nous avons signé l’Accord politique de Ouagadougou, certains ont voulu s’engouffrer sur cette voie disant que Guillaume Soro, on ne comprend plus, est ce qu’il n’a pas trahi ? Face à ce type d’accusation, je suis d’une lucidité forte. Trahir quoi et qui ? Signer un accord pour faire la paix dans son pays, est-ce cela trahir ? Non ». « Puériles et relevant de l’immaturité politique », juge-t-il cette lecture des choses . Ramenant les auteurs à revisiter l’histoire récente de certains pays du continent : « Au Soudan, on a quand même vu John Garang être vice-président. Est-ce à dire qu’il a trahi ainsi la cause pour laquelle il se battait ? Je ne crois pas. Ce sont des arrangements politiques pour la paix. Jonas Savimbi, a bien été vice-président en Angola. Aujourd’hui où nous parlons, son parti l’Unita partage bien le pouvoir avec le MPLA du Président Eduardo Santos. En outre, le chef d’état-major des forces angolaises, est du MPLA, mais son adjoint est de l’UNITA. Doit-on dire pour autant que cet adjoint a trahit la cause de l’UNITA ? (…) on devrait être plutôt heureux du travail que nous sommes en train de faire », soutient-il.
Pour le Premier ministre ivoirien, le seul enjeu qui vaille aujourd’hui c’est le retour à la paix définitive. Et les recettes pour y parvenir, il semble les découvrir à l’épreuve du pouvoir : « Aller progressivement, mais sereinement dans la résolution des problèmes et questions délicats, dialoguer en permanence pour trouver des réponses consensuelles à toutes les questions sensibles, les régler en maintenant une harmonie sereine ». Une approche globale, pas forcément rapide, mais qui a tout son intérêt. Surtout qu’en arrière-plan se joue l’avenir… politique de Guillaume Soro qui, avec la réussite du processus en cours et son aboutissement l’élection présidentielle, se payera une nouvelle virginité au plan politique.
Avec les afriques